Le logo de La filature dessiné par le graphiste Mike Teixeitra s'inspire de l'histoire du lieu avec un fil qui court devant et deriièere les lettres comme une couture ou un tricot.
La Filature inc. ou comment la foi déplace
des montagnes politiques_
Par Jean-Yves Vigneau, 2002
Coordonnateur, La Filature
L’aventure a débuté il y a deux décennies, soit en 1982,
lorsqu’un un groupe d’artistes, déterminés à poursuivre leur
travail dans l’Outaouais plutôt que de quitter la région pour
aller vers Montréal comme l’avaient fait leurs prédécesseurs,
se sont installés au 205, rue Montcalm, dans cet édifice
vétuste prêté par la Ville de Hull et qu’ils occuperont et entretiendront
durant vingt ans. Ils ont d’abord créé un atelier de
gravure, La 7e ouest, qui devint rapidement le centre d’artistes
AXENÉO7 où, depuis 1983, a été présenté le travail de
centaines d’artistes de toute provenance. Pour partager les
coûts d’entretien de l’édifice, des ateliers ont été offerts aux
artistes à l’étage et au sous-sol. C’était le début de cette collaboration
entre les artistes et la municipalité qui allait mener
à la réalisation de La Filature vingt ans plus tard.
En 1986, certains de ces mêmes artistes associés à de
nouveaux venus ont décidé de créer le Centre de production
DAÏMÕN qui devait permettre de regrouper les artistes photographes
et les artistes intéressés par le nouveau médium
qu’était la vidéo. DAÏMÕN s’est installé lui aussi au 205, rue
Montcalm, dont il a fini par occuper tous les recoins du soussol.
Au cours des années, il a ajouté à ses activités d’autres
avenues comme l’infographie et les nouveaux médias.
Tout ce beau monde s’est vite retrouvé à l’étroit dans cet
édifice en mauvais état pour lequel il était impossible de
trouver des fonds afin de le rénover puisque le bâtiment,
quoique sous la responsabilité de la Ville de Hull, appartenait
à la Commission de la capitale nationale, donc au gouvernement
fédéral. L’ambition de doter la région d’un équipement
permanent voué aux arts visuels et aux arts médiatiques est
donc née très rapidement. Les études ont porté sur plusieurs
sites et bâtiments. En 1992, l’achat par la Ville de Hull d’un
ancien cinéma sur la promenade du Portage a fouetté les
ardeurs. Un premier projet, avec plans préliminaires, a été
proposé à la municipalité. Malheureusement, la revitalisation
de cette artère du centre-ville n’en était qu’aux balbutiements
et le projet a avorté, sans pour autant décourager les
promoteurs qui ne lâcheront pas prise. En 1994, la municipalité
fait l’acquisition de l’ancienne filature Hanson Hosiery Mill’s,
pour la mettre à la disposition des promoteurs à la condition
qu’ils trouvent les fonds pour rénover cet édifice centenaire.
C’est alors qu’est née La Filature inc., en référence à cet édifice
qui a été une manufacture de bas de laine et une des plus
importantes entreprises de l’histoire industrielle de Hull. Une
demande de financement est présentée au ministère de la
Culture et des Communications du Québec.
Hélas, un moratoire sur le financement des équipements
culturels par le gouvernement du Québec est tombé comme un
couperet sur les espoirs ravivés. Mis en place d’abord pour un
an, ce moratoire a été maintenu durant près de cinq ans, de
quoi éteindre les plus grandes passions. Pourtant, ce n’était
pas suffisant pour venir à bout de la ténacité des artistes.
Pendant ce purgatoire, les organismes promoteurs, AXENÉO7
et DAÏMÕN, se sont concentrés sur le développement de leurs
programmations artistiques, se taillant une place de choix sur
l’échiquier québécois et canadien. Ils ont réussi, même durant
cette période de restrictions budgétaires, à plus que doubler
leurs budgets d’opération, et à réaliser des projets de grande
envergure.
Ce n’est qu’à l’automne 1998, au coeur de la campagne
électorale québécoise, qu’ils ont obtenu un accord de principe
sur la participation financière du gouvernement du Québec. Il a
fallu cependant attendre jusqu’au printemps 2000 pour en
arriver à un engagement ferme et à l’annonce d’une
subvention.
En juin 2001, après une révision complète des plans et devis,
l’achat de la propriété et la négociation d’un financement
temporaire, les travaux ont enfin démarré. Ces derniers ont été
initialement prévus sur une période de six mois ; l’échéancier
sera respecté et les budgets de construction aussi, malgré
l’effarante hausse des coûts de construction en Outaouais. Le
projet architectural réalisé correspond bien au rêve et
l’ouverture officielle avait lieu le 25 janvier 2002.
Heureusement, tous les projets d’équipements culturels ne
prennent pas autant de temps à se réaliser. Pour réaliser La
Filature, il aura fallu défendre le dossier devant une demidouzaine
de ministres de la Culture, sans compter les députés
de la région, les attachés politiques et les agents du ministère
qui se sont succédé au cours de cette période. Il a fallu suivre
de près au moins trois campagnes électorales provinciales et
autant d’élections municipales, sans oublier un référendum.
Toutefois, nous devons nous féliciter d’avoir pu travailler avec
une municipalité qui a placé la culture au rang de ses priorités.
Il ne faut pas croire pour autant qu’il a été aisé de maintenir le
besoin d’un équipement pour les arts visuels et les arts
médiatiques sur le même ordre du jour que les taxes
municipales, l’enlèvement des ordures et les patinoires.
Il aura fallu, avec le Conseil régional de la culture de
l’Outaouais (CRCO), avec le Conseil régional de développement
de l’Outaouais (CRDO) et avec la Direction régionale du
ministère de la Culture et des Communications, mettre le projet
La Filature en haut de la liste des priorités dans l’ensemble des
besoins en équipements culturels. Il aura fallu aura fallu réunir
autour d’une même table les représentants du CRCO, du CRDO,
de la SDÉO (Société de diversification économique de
l’Outaouais) et du CLD (Centre local de développement), pour
doter La Filature et les centres d’artistes des équipements
nécessaires à leur développement. Le ministère du Patrimoine
canadien, à travers son programme « Espace culturels », est
venu compléter ce parc d’équipements.
Aujourd’hui, les artistes de l’Outaouais, à travers les
organismes qu’ils ont créés, se retrouvent propriétaires d’un
ensemble d’équipements culturels qui aura coûté aux fonds
publics de toutes provenances plus de deux millions et demi de
dollars. Ils auront été convaincants, et avec le soutien de tous
les convaincus, ils ont su créer un véritable consensus régional.
On leur a fait confiance et on continue de leur faire confiance
pour le maintien et le développement de ces outils dont ils sont
les propriétaires, les gestionnaires et les gardiens.
La Filature, un lieu de création et de diffusion pour les arts
visuels et les arts médiatiques en Outaouais, a été rendue
possible parce que des artistes ont su communiquer leur
passion à des acteurs de la scène culturelle et politique, à des
architectes (la firme Audet, Fortin, Corriveau, Salvail) qui ont
donné beaucoup plus qu’ils ont reçu, et même aux ouvriers qui
ont mis du coeur dans la réalisation de ce projet hors de
l’ordinaire.
Après de longues années de démarches politiques et administratives,
on aura réussi à doter la région de l’Outaouais d’une
infrastructure et d’équipements permanents pour assurer un
véritable épanouissement des pratiques en arts visuels et en
arts médiatiques, et ce, grâce à la ténacité et au travail
passionné des artistes dont la foi inébranlable a su déplacer
des montagnes… politiques.